Retour sur le Forum d'Aix-Marseille
A l’heure de la généralisation du télétravail, de l’équilibre vie pro vie perso, les grandes multinationales se détournent de Paris, du quartier minéral de la Défense, au bénéfice de stratégies régionales. Les métropoles, où il fait bon vivre et développer son business, sont en passe de devenir une alternative sérieuse aux capitales.
Le Forum d’Aix-Marseille, initiative conjointe de Provence Promotion, du Club Top 20 et des Etats de la France qui fédère la communauté des entreprises étrangères de France, a réuni le 15 septembre dernier, un panel d’exception composé de dirigeants de groupes internationaux (ABB, Siemens, Salesforce, Google...). Entretiens sur leurs stratégies territoriales et analyses de l’attractivité des territoires.
Si la cote des villes en région grimpe depuis quelques années, la crise sanitaire a été un accélérateur de ce changement. On veut quitter la capitale pour un cottage en Normandie, pour un mas provençal. Des lieux où il fait bon vivre, travailler et où l’on peut se déplacer aisément. «82 % des dirigeants estiment que l’attractivité tertiaire des grandes métropoles (hors Île-de-France) s’est renforcée depuis la crise sanitaire. Bordeaux, Strasbourg et Marseille sont les trois villes qui pourraient challenger Paris. En 2021, Aix-Marseille obtenait la seconde place en France en nombre d’implantations internationales», pose en préambule au Forum d’Aix-Marseille Marc Lhermitte. Associé au cabinet EY Consulting, il a présenté à une centaine de décideurs économiques, le baromètre de l’attractivité de France. Comment les grands groupes perçoivent-ils désormais les métropoles régionales vis-à-vis des capitales ? Choisir d’ouvrir un bureau en région ou, mieux, d’y installer son siège social répond à différentes aspirations.
"Marseille ne se définit pas par rapport à Paris"
«Marseille ne se définit pas par rapport à Paris. L’enjeu c’est la comparaison avec les métropoles européennes et de la Méditerranée », souligne David Martin, VP Stratégie Marketing Europe-France d’Air Products qui possède une usine d’hélium à Rognac.
La stratégie de Google France repose également sur la décentralisation des fonctions commerciales et opérationnelles : «Nous voulons recréer des hubs en région, des lieux collectifs pour l’accompagnement des PME et avec de mini-bureaux pour le télétravail», annonce Benoît Tabaka, directeur général de Google France. «Pour nous ça se passe en région ! Les développements que nous accompagnons se passent sur les territoires», ajoute David Baillet, directeur Sud Est de Siemens.
Pour Autogrill "la capitale n’est plus une nécessité"
Autogrill Europe a fait de Marseille son siège européen il y a … 25 ans. Un coup de cœur jamais démenti comme l’explique Stan Monheim qui dirige 22 000 salariés : «Pour moi, la capitale n’est plus une nécessité. Les bureaux d’Autogrill ne sont plus dans aucune capitale. Marseille est très accueillante et des structures sont là pour vous aider à comprendre la complexité française (UPE13, CCIAMP, Top20...). Ce microclimat social et économique est extraordinaire».
CEVA Logistics "Le monde vient à nous"
Jacques Saadé, fondateur de CMA a eu ce coup de cœur pour la Cité phocéenne. Il ne l’a jamais quittée en dépit des très nombreuses opérations de croissance externe qui ont jalonné les étapes de la compagnie maritime de CGM à Gefco en passant par Delmas, APL, Colis privé et Ceva. «CMA CGM est un fervent défenseur du territoire. Avec 95% de CA hors de France, le monde vient à nous. Être en région n’est absolument pas un frein lorsque vous avez une vraie ambition internationale», souligne Mathieu Friedberg, Pdg de Ceva Logistics. Avec l’incubateur Zebox et le centre d’excellence Tangram, CMA CGM crée localement son maillage territorial quand les sociétés internationales choisissent Marseille pour son écosystème.
«Dans le radar des investisseurs internationaux, la French Tech est un avantage hexagonal. C’est une marque reconnue. Il faut capitaliser sur les succès d'Aix-Marseille ces dernières années et sur son tissu académique de recherche. Il faut faire vivre Aix-Marseille French Tech !», lance Marc Lhermitte.
Marseille, en passe de se hisser au cinquième rang mondial de connectivité, attire les grands groupes des services numériques. «En région, nous soutenons 40 associations de la tech comme Code4Marseille, Inco, les décodeuses... Notre programme d’employabilité représente 211 000 emplois en France d’ici 2026», annonce Emilie Sidiqian, directrice générale de Salesforce en France.
Le fournisseur américain de services à l’industrie nucléaire Westinghouse, salue la très bonne dynamique R&D autour du nucléaire et mise sur la diversification dans le médical en produisant des isotopes qui seront destinés aux IRM. Westinghouse étudie aussi la capacité à produire de l’hydrogène vert à partir du nucléaire pour alimenter la mobilité terrestre et maritime.
La décarbonation du bassin industriel du port et des navires, c’est également le marché d’ABB, présent depuis de longues années à l’Estaque. «Nous accompagnons nos clients dans l’électrification intelligente et durable. Il faut pouvoir gérer en temps réel les différentes sources énergétiques (nucléaire, photovoltaïque, éolien, hydrogène...). Les technologies numériques, les datas contribueront à optimiser la consommation d’électricité bas carbone. Marseille est bien équipée pour cela», affirme Fabien Laleuf, directeur général de ABB France.
Les métropoles portuaires joueront un rôle décisif dans la décarbonation. «Dans nos choix d’investissement, nous examinons les ports possédant un bassin industriel et des atouts de mobilité. Pour un investisseur, ressentir l’envie du territoire est essentiel pour la concrétisation des projets» déclare David Martin.
La diversité culturelle, ethnique de Marseille devient de plus en plus un vivier de recrutements pour les grands groupes dans le cadre de leur expansion et de leurs stratégies RSE. L’inclusion des populations éloignées de l’emploi est un enjeu de taille notamment dans le numérique avec les grands projets structurants de La Plateforme et de Theodora au Nord de la ville.
Leader mondial des ressources humaines, Adecco, dont le siège est historiquement ancré à Lyon, emploie 6 500 salariés dans 900 agences en France. «Adecco a une empreinte très forte sur les territoires et sur Aix-Marseille. La pluralité des filières est un vrai atout en termes d’activités et aussi de taille d’entreprises. Il y a davantage d’opportunités pour les candidats», observe Sébastien Hampartzoumian, directeur des opérations France d’Adecco.
«Pour attirer de la main d’œuvre, la Provence séduit. Nous n’avons pas encore commencé notre campagne de recrutement que nous recevons déjà tous les jours des CV !», s’étonne Céline Guth d’Aion group, le groupe horloger qui vient de s’implanter à La Ciotat.
«Nos possibilités d’accueil ne sont pas uniquement dues au soleil mais bien à cet équilibre entre vie professionnelle et personnelle, un des critères essentiels pour la jeunesse de demain», observe Philippe Bernand, Administrateur du Club Top20 et Président du Directoire de l’Aéroport Marseille Provence.
Pascal Picq, paléoanthropologue, a clôturé le Forum d’Aix-Marseille en rappelant la richesse des écosystèmes régionaux : «Quand chaque acteur, tout en veillant à ses intérêts, rend des services gratuits à d’autres acteurs, l’effet d‘entraînement socio-économique est multiplié par 10. L’écosystème devient beaucoup plus créatif et innovant et surtout résilient car, plus vous avez d’interactions avec l’écosystème, plus il sera compliqué de prendre votre place !».
Les recommandations émises lors des débats par les grands groupes seront portées auprès du gouvernement français lors de la restitution et de la conclusion du cycle d’échanges des Etats de la France le 15 novembre au Palais d’Iéna à Paris.
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